LVMH rhabille les lettristes d'étrange façon
par Bernard Girard
Depuis que LVMH a racheté à Flammarion l'ancienne librairie La Hune et avant de faire les travaux d'agrandissement de son magasin mitoyen, on (le service de communication de l'entreprise, sans doute) y organise des expositions de livres et de tableaux, en général sans grand intérêt, qui ne méritent pas qu'on s'y attarde. Mais actuellement, on y trouve une double exposition d'oeuvres appartenant à Marcel et David Fleiss (Galerie 1900-2000) avec, d'un coté, quelques beaux cadavres exquis surréalistes et de l'autres de médiocres tableaux lettristes, le tout organisé par François Letaillieur, collectionneur de peintures lettristes qui s'est engagé dans une opération de réécriture de l'histoire de ce mouvement dont témoigne le texte écrit sur l'un des murs de la galerie. On y apprend que le mouvement lettriste a été créé par Gabriel Pomerand et Isidore Isou (dans cet ordre!) et qu'il a été entretenu par une nouvelle génération d'artistes dont, justement, le célèbre Letaillieur.
C'est tellement grossier et faux qu'on n'y attacherait pas d'importance si cette mini exposition ne faisait un tort considérable aux lettristes en montrant des tableaux de Lemaitre, Brau, Isou, Pomerand, Hains (qui n'a jamais été membre du groupe lettriste) qui ne sont certainement pas ce qu'ils ont fait de mieux. Sans prétendre à l'exhaustivité, on aurait aimé y voir des toiles de Dufrêne, Wolman, Spacagna (Letaillieur en possède plusieurs, me dit-on), Sabatier, Altmann qui valent bien mieux, comme on avait pu le voir dans l'exposition "Bientôt les lettristes" qu'ont organisée, il y a quelques mois, Bernard Blistène et Frédéric Acquaviva Passage de Retz.
Isou utilisait souvent l'expression faussaire pour discréditer ses adversaires. Le mot convient parfaitement pour désigner les organisateurs de cette pitoyable exposition (et d'autres du même acabit, comme à Bucarest). B.G.
(reproduit du blog Dissonances, avec l'aimable autorisation de l'auteur)
Un samedi 9 février
par François Poyet
flashmob O. Grandville. photo F. Poyet
Un
temps pourri… celui qui t’met à zéro quand t’es optimiste… Irai-je ? Flashmob ?..
ça craignait, Louis-Ferdinand…
Néanmoins, animé de curiosité créatrice, je me pointe place Martin Nadeau, au dessus du Père Lachaise. Le flyer je l’avais lu : Chorégraphie Collective d’après la Figure Mimique n° 1 de Maurice Lemaître, par Olivia Grandville. Ça me branche, je connais Lemaître depuis cinquante ans. Miracle, un ciel radieux… J’aperçois Olivia Grandville avec un porte-voix devant des dizaines d’êtres dont on ne saurait quoi dire. Une directive sonore, puis une autre. Tous esquissent des gestes puis s’arrêtent, puis entament un autre geste qui se fige lui aussi. Je connais le texte de Lemaître, c’est la première fois qu’il me semble en voir l’exécution. Cela me ravit, d’autant que bientôt on entend un poème de Lemaître dit par lui-même sur fond musical.
Les soeurs Richol + Pierre Maganelli. Photo F. Poyet
Le jour même, poussé par la vitamine D de ce ciel radieux, j’arrive à la galerie Satellite*. Bruno Maisons y présente une exposition de Marie-Thérèse-Müller et Hélène Richol, intitulée A Propos des origines, 1978/2012. Deux sœurs, assez proches de Maurice Lemaître pour être ignorées par nombre de lettristes bien que Marie Thérèse Müller se soit faite remarquer avec Broutin et moi-même au Macbeth Theater de Londres en 2012. Une occasion pour elles de développer en direct leurs inventions propres en poésie phonétique et art infinitésimal avec le comédien/musicien Pierre Maganelli. Quant à leurs peintures, elles ont été motivées par la redécouverte de leur origine antillaise. A bientôt, l’essor oral des sororales…pictorales ? F.P.
* 7, rue François-de-Neufchâteau, 75011 Paris.
Le Cabaret discrépant, un spectacle d'Olivia Grandville
d'après Isidore Isou
par François Poyet
L'assistance au Théâtre de la Colline, photo Édouard Berreur
L’écriture discursive n’est pas mon fort, mais n’attendez pas de moi des allusions et développements théoriques dont je suis perclus depuis près de cinquante ans.
Je viens d’assister deux fois, coup sur coup, au spectacle d’Olivia Grandville articulé autour des idées et des œuvres chorégraphiques novatrices d’Isidore Isou, publiées entre 1953 et 1964, intitulé Le Cabaret discrépant.
Le spectacle étonne et détonne.
Il commence, alors qu’il n’en est pas encore vraiment un, hors champ, avant même que nous soyons entrés dans la salle : une sorte de miscellanées spatiales.
Des individus dont on ne sait exactement s’ils sont acteurs, comédiens ou danseurs, voire appartenant à d’autres catégories non identifiées, dispersés dans les coins et recoins conduisant à la salle, s’adonnent à d’étranges comportements. L’une reprend une interview de Maurice Lemaître, un autre récite des poèmes phonétiques d’Isou ou de Dufrêne, un autre encore esquisse des schémas et parle de Créatique un quatrième gesticule, quand d’autres semblent appliquer des directives corporelles diffusées par la sono.
On ne sait pas où donner de la tête, des pieds… Bref, les spectateurs avertis ont compris qu’Olivia Grandville a souhaité montrer les différents domaines abordés par Isou d’une manière historique et novatrice y compris en dehors de la chorégraphie, poésie, peinture, roman, théâtre, cinéma, économie politique etc.
On entre dans la salle.
Je me mets au premier rang, à la frontière de l’invisible et du visible, cette marge entre la scène et les spectateurs, le vu, l’entendu et le ressenti syncrétique. La représentation est dite discrépante, autrement dit faite de pôles délocalisés et de disjonctions simultanées.
Alors, Olivia Grandville et ses compagnons attitrés, Vincent Dupont, Hubertus Biermann, Catherine Legrand, Laurent Pichaud, Pascal Quéneau et Manuel Vallade nous mènent au chœur des textes, théories et œuvres chorégraphiques d’Isou savamment distillées par la maitresse de cérémonie vêtue d’une élégante robe noire qui laisse entrevoir son élégant corps de danseuse.
J’ai aimé ce clin d’œil ironique aux pratiques néo-pompier contemporaines, psycho-merdiques, ateliers - process en anglais... ça fait mieux ! - et autres débilités.
Une mise en scène fine et intelligente de didascalies et mise en abyme des œuvres chorégraphiques d’Isou, saluées y compris par d’anciens actifs du groupe. Et puis cette fin dans le noir, où l'on ne voit plus que le bruit que suscite les gestes du danseur.
Alors, qui mène la danse, qui se donne en spectacle ?
Une jeune femme courageuse, modeste et honnête, aventurière de la finesse et de l’intelligence créatrice, mue par l’étonnement et la curiosité qui font évoluer l’humanité!
Une vraie femme qui a pris des initiatives seule, sans revendications préétablies ni assujettissement masculin ou recommandations.
Elle n’est pas seule ! Des irréductibles sont là, O.G aime les organismes génialement modifiés. Un livret, utile aux novices, accompagne le tout, mais il recèle nombre d’erreurs formulées par les auteurs cités, notamment en ce qui concernent les définitions, les anecdotes et les importances historiques. A ce propos, il me reste des propositions à réaliser dans la danse pour évoluer, encore, dans un monde qui nous laisse perplexe, où nous sommes parfois découragés. Mais heureusement certaines initiatives inattendues nous encouragent.
J’ai beau cessé d’écrire, les mots dansent dans ma tête. Ecrire sur la danse, et même prendre un pot avec les danseurs deviennent des actes chorégraphiques.
Chère Olivia, grâce à Isou, vous nous rafraîchissez, bravo, grand merci ! Vive l’avenir ! F.P
Au sein du groupe lettriste, qu’il a rejoint en 1966, alors qu’il était encore lycéen à Sèvres et dont il est depuis un des piliers, et en dehors de son action de propagateur, François Poyet, collaborateur à Lettrisme XXIe siècle, est plus particulièrement connu pour ses improvisations phonétiques ciselantes, ses créations chorégraphiques fondées sur des jeux de langue, des intertextualités, des hypertropismes, des sous-entendus ayant pour thème cet art.
A voir sur la page d’accueil de notre site sa dernière exposition
personnelle, et dans « le parc vidéo » deux improvisations
phonétiques.
Et aussi : le lettrisme.com et wikipédia
La lettre ouverte à Garance Pomerand à propos de la Symphonie en K de Gabriel Pomerand
"Madame,
Nous avons appris avec regret que vous aviez interdit la diffusion de la Symphonie en K de Gabriel Pomerand, réalisée par Frédéric Acquaviva.
Outre le droit légal, justifié, des héritiers, sur l'oeuvre d'un artiste décédé, nous défendons, à la suite d'Isidore Isou, un droit nouveau, un héritage créatif, qui associerait également les novateurs successifs, à la défense et la promotion de l'oeuvre d'un auteur disparu.
C'est au nom de ce droit neuf, encore à confirmer, que nous nous permettons de vous écrire et que nous vous demandons de réfléchir à votre décision, et d'accepter, au moins, une discussion approfondie et sans a priori, sur la qualité et la validité du travail accompli, à propos d'une pièce musicale essentielle à l'histoire et à la compréhension du lettrisme sonore.
Quelques dates, concernant la Symphonie en K, soulignent l’histoire de la symphonie et la provenance du manuscrit : 1947, Gabriel Pomerand écrit la Symphonie en K ; 1971, Gabriel Pomerand remet en main propre le manuscrit intégral de la Symphonie en K, à Jean-Pierre Gillard ; la même année, parution d'un extrait de la Symphonie en K dans la Revue Musicale, sous la responsabilité de Jean-Paul Curtay, ed. Richard Masse, Paris ; 2011/2012, à l'aide du manuscrit transmis par Jean-Pierre Gillard, Frédéric Acquaviva enregistre la Symphonie en K.
Outre la traçabilité du manuscrit de la Symphonie en K, la qualité du travail de réalisations sonores, précédemment effectuées par Frédéric Acquaviva, sont garants de la qualité et du sérieux de celle-ci : 1999, Isidore Isou, Symphonie n°1 La Guerre (1947) ; 1999-2000, Isidore Isou, Symphonie n°3 ; 2001-2004, Isidore Isou, Symphonie n°4 Juvénal ; 2006, Isidore Isou, Symphonie n°5 ; 2007, Maurice Lemaitre, Symphonie n°1, le Mariaje du Don et de la Volga (1952) ; 2009, Broutin, Concerto pour une bouche et quatre membres (1976).
Fort de cette conviction, nous vous appellons à reconsidérer votre position et de permettre enfin, après 55 ans, que soit diffusée, pour la première fois dans son intégralité, la version historique de la Symphonie en K.
C'est notre espoir, et celui de beaucoup d'autres qui souhaitent entendre l'une des plus grandes oeuvres de votre père.
Avec nos sentiments les plus cordiaux,
Pour le mouvement lettriste,
Broutin, Jean-Pierre Gillard, François Poyet"
Sur "Le lettrisme historique était une avant-garde" de Fabrice Flahutez
par Damien Dion
Lorsque j'ai vu pour la première fois le titre de l'ouvrage de Fabrice Flahutez, j'ai eu peur. Je m'attendais à une publication entretenant une vision « situationniste » du lettrisme qui célèbre les premières années du mouvement en tant que tremplin pour Guy Debord et ses idées.
Je me trompais. Fabrice Flahutez, docteur en histoire de l'art et maître de conférence à l'Université de Nanterre, nous propose une étude sérieuse et documentée. Bien que la période étudiée soit 1945-1953, il se permet d'heureuses digressions chronologiques en abordant aussi bien les années soixante que la très récente « guerre d'édition » au sein de l'entrée « lettrisme » sur l'encyclopédie collaborative Wikipédia.
Après un rappel du contexte culturel du Paris des années quarante et cinquante, l'auteur fait une analyse assez judicieuse de la non-intégration du lettrisme dans la plupart des histoires de l'art récent. Il démontre ainsi que ce mouvement sort du schéma voulant que l'art ne peut être que figuratif ou abstrait. Faute de grilles de lecture opérantes, les historiens de la seconde moitié du XXe siècle se sont donc heurtés à quelque chose qui leur échappait, qu'ils ne pouvaient pas ranger dans leurs cases. Mais plutôt que de surpasser cette difficulté, la plupart d'entre eux ont préféré oublier le lettrisme (ou le réduire à une anecdote marginale), plutôt que de l'étudier en profondeur et avec rigueur, au risque d'apporter un peu de souplesse dans leur méthodologie.
Fabrice Flahutez a su prendre le recul nécessaire pour analyser cette situation et a fait un véritable effort de recherche.
Cet ouvrage a la distance et la rigueur analytique qui manque à la plupart des publications sur le lettrisme, un regard objectif ni partisan, ni complaisant, et qui a su laisser de côté les considérations subjectives et morales qui polluent le travail de réévaluation critique et historique du mouvement.
L'auteur apporte également un regard intéressant sur l'hypergraphie, dans sa capacité a être vue, lue, écoutée, voire interprétée devant un auditoire. Analyse à prendre avec des pincettes tant il est facile de faire la confusion entre poésie lettriste et peinture lettriste.
Je serais peut-être plus réservé sur ce qu'il développe à propos de l'histoire vu par le lettrisme. L'histoire faîte par les lettristes serait un « faire-œuvre », et les documents seraient plus à analyser sous un angle artistique qu'historique. Si il est vrai que la vision lettriste de l'histoire (de l'art notamment) est orientée, elle ne l'est pas moins que celle d'un Restany, d'un Greenberg ou d'un Gombrich. Par ailleurs, voir cette vision comme une œuvre est peut-être une incompréhension de ce qu'est l'art pour Isou. Cependant, cette interprétation théorique donne un éclairage neuf, une possible clé de compréhension pour saisir cette nébuleuse qu'est le lettrisme. Il reste à espérer que cette initiative en suscitera d'autres, tant ce terrain d'étude a été déserté par les milieux universitaires. D.D. décembre 2011.
A lire
par Broutin
Deux articles, consacrés à Isidore Isou et signés Christophe Schinckus, paraissent en ce premier semestre 2011. Le premier, intitulé Vers une nouvelle rationalisation de la poésie (les influences de la science sur la poésie lettriste d’Isidore Isou), publié dans la revue Thot n°3, et un second intituléConsidérations épistémologiques sur les conditions d’émergence de la Créatique chez Isidore Isou, publié par la revue Epistémocritique, volume VIII.
les articles
"Vers une nouvelle rationalisation de la poésie (les influences de la science sur la poésie lettriste d’Isidore Isou."
Contenu : Le lettrisme comme évolution “continue” et “rationnelle” et les similitudes avec les “programmes de recherches” lakatosiens. I - Introduction : le lettrisme. II – L’épistémologie lakatosienne ou l’évolution rationnelle des sciences. III – Quelle rationalisation lettriste ?. 1 – La rationalisation de la poésie selon Isou. 2 – Le lettrisme comme programme de recherche. Conclusion.
"Considérations épistémologiques sur les conditions d’émergence de la Créatique chez Isidore Isou."
Contenu : Les conditions d'émergence de la création ou de la Créatique. l'épistémologie lettriste par rapport à l'épistémologie de Bachelard. I - Introduction : le lettrisme ; II - Isou et la création lettriste ; III - La Super-carte de l’acquis ou l’importance de la connaissance antérieure ; IV - La Koriontina et le dépassement isouien ; V - Les obstacles à la Créatique et les obstacles épistémologiques de G. Bachelard. Conclusion.
L'auteur
Christophe Schinckus, PhD CIRST, économiste et chercheur chargé de cours à l’Université du Québec à Montreal. E-Mail : [email protected]
Références
Vers une nouvelle rationalisation de la poésie (les influences de la science sur la poésie lettriste d’Isidore Isou, in revue Thot n°3, avril 2011, Directeur Damien Dion. Lien
Considérations épistémologiques sur les conditions d’émergence de la Créatique chez Isidore Isou. ISSN 1913-536X, in ÉPISTÉMOCRITIQUE - Volume VIII - Printemps 2011, Directeur : Michel Pierssens. Egalement publié le 15 juin 2011 sur le site internet de la revue Epistémocritiaue littérature et savoirs. Lien
Un tract que j'aurais pu contresigner
par Broutin
cliquez sur les deux parties du tract pour le lire correctement
Pour Alain Satié
Alain Satié avec Patrizio Peterlini de la Fondation Conz (à gauche) lors de sa dernière venue à Vérone
envoi de Patrizio Peterlini
23 février 2011
© Patrick Jacob
Alain Satié dans son atelier de Bouleurs en 1987, la photo illustra un article de City Magazine International pour son exposition "Emblèmes pour la société paradisiaque" à la Galerie de Paris.
Archives Jean-Pierre Gillard
"Voici l'image de l'oeuvre collaborative Satié/Seaman à laquelle j'ai fait référence dans mon hommage à Satié." (voir plus bas, "Alain Satié et les alligators").
envoi de David Seaman
le 23 février 2011
Il faudrait parler d'Alain Sabatier l'enfant en 1944 à Toulouse,
Il faudrait parler d'Alain Sabatier l'étudiant aux Beaux-Arts de la Ville Rose,
Il faudrait parler d'Alain Sabatier à vingt-ans se joignant au lettrisme,
Il faudrait se souvenir du jour où Alain Sabatier est devenu Alain Satié,
Il faudrait se souvenir de son premier dessin, de sa première hypergraphie,
de son premier poème, de sa première oeuvre imaginaire, de sa
première oeuvre excoordiste,
Il faudrait évoquer le romancier, l'essayiste, le créateur de mobilier,le graveur,
Il faudrait se pencher sur les essais d'architecture d'Alain Satié,
Il faudrait dire merci à Alain Satié pour tout cela,
Merci à l'enfant de Toulouse devenu l'homme de Bouleurs.
Jean-Pierre Gillard
lu le 12 février 2011 lors de ses funérailles
Alain Satié (1944-2011)
Pour un avenir meilleur
Alain Satié est né en 1944. Après un passage à l'École des Beaux Arts de Toulouse, il monte à Paris en 1964 et rallie aussitôt le mouvement lettriste dont il deviendra un des protagonistes les plus importants. Pendant presque cinquante ans, il va développer une oeuvre essentielle pour la compréhension de l'évolution de l'art de la deuxième moitié du 20ème siècle.
Ce qu'il nous laisse est immense. Peinture, sculpture, architecture, art du meuble, poésie, cinéma, aucun domaine n'a échappé à sa soif inventive. Il fera de l'approfondissement des concepts isouiens la base de ses apports.
Les premieres oeuvres aux traits encore incertains (1964), les Entassements maitrisés (1966), l'infinitésimal controlé et relancé (1971), les Transparences (1983), Les créations du lettrisme en 26 tableaux explicites (1990), les Portraits d'un groupe excoordiste (1995), les Déplacements consécutifs sans origine (2004), jusqu'aux Souvenirs présents (2006), sont autant d'étapes qui lui permettent d'exprimer ses nuances, d'imposer ses propres dépassements créatifs dans l'ensemble lettriste.
En 1979, dans l'art du meuble, l'un de ses apports le plus important, il propose des fauteuils hiératiques dressant leur dossier comme des totems hypergraphiques et des panneaux de bois mystérieux pour les parois d'une salle de billard.
Mais son oeuvre est également importante par l'énergie qu'il a constamment déployée dans l'édition. Plus de quarante ouvrages originaux jalonnent son demi-siècle, du précieux Superstrat (1966) à la réédition de Pour un avenir meilleur, fin 2010.
Son oeuvre est encore largement inconnue, mais la redécouverte du lettrisme permettra de mieux situer son importance dans l'histoire de l'art contemporain.
Alain Satié rêvait de la Société paradisiaque, idéal pour lequel il a combattu toute sa vie. Alain Sabatier est mort ! Vive Alain Satié !
Broutin
de Berlin le 12 février 2011
lu par Delphine Ganne lors de ses funérailles
Alain Satié et les alligators
Prologue : un jour, ma femme Barbara et moi, nous étions à Bouleurs et nous avons invité Alain et Woodie à dîner, dans un restaurant de leur choix. Nous avions imaginé une petite auberge de charme dans un village voisin. Mais non. Alain nous a conduit à Disneyland.
Là, près de l'hôtel New York, il a choisi un restaurant américain devant lequel il y avait une fausse jungle avec un énorme alligator en plastique. Alain s'arrêta, tira sur son cigare, et regarda. "Attends" dit-il. On regarda, et au bout d'un moment, l'alligator animatronique leva la tête et ouvrit grande la bouche. Alain sourit. Il adorait ça.
Image principale : Alain et Woodie sont chez nous en Géorgie, aux USA. Alain veut voir un alligator vivant. Nous allons dans la réserve naturelle de Savannah, où des centaines d'alligators se réfugient. Alain avait sur lui sa petite carte hypergraphique où l'on reconnaît le mot "pipe" qu'il utilisait pour transformer une scène en oeuvre lettriste. Il l'avait fait notamment à Moscou, sur la Place Rouge.
Maintenant il voulait planter la carte devant un alligator vivant, ignorant le risque. Barbara tremblait de peur, car les alligators sont sauvages, et ils courent très rapidement sur terre et ils ont de grosses dents.
Alain, quand à lui, était prêt à tout risquer pour son art. Mais comme c'était l'hiver, les alligators s'étaient cachés sous la boue. Alain m'a laissé la petite carte que j'ai finalement planté devant un gros alligator l'été suivant. Puis je me suis reculé pour en faire une photo. Ce fut notre seule oeuvre en collaboration.
David Seamanlu le 12 février 2011 lors de ses funérailles
Peu après la création de notre site, nous avions proposé à Alain Satié de nous rejoindre au sein du comité de rédaction. Il était enthousiaste sur le projet et nous avait assuré de son "entière collaboration", ajoutant qu'il se mettait au travail pour l'exposition d'ouverture que nous lui avions proposé. Ce qu'il fit.
Au moment triste de sa disparition, nous n'avons pas trop le goût des phrases, et disons avec modestie à Isabelle Ganne-Caron, sa compagne, à Julien Sabatier, son fils, et à ses proches nos plus affectueuses pensées.
La rédaction de Lettrisme XXIe siècle
10 février 2011
Alain Satié, à droite, avec Broutin et Poyet, à la Villa Cernigliaro en 2007
envoi de François Poyet
9 février 2011
"La mort de l’autre pourrait se définir comme un dialogue inachevé que l’on déplore. C’est ainsi que j’envisage la disparition de mon camarade du groupe lettriste Alain Satié auquel je demeure liée, tant sur le plan de nos activités artistiques que sur celui de l’intime et du familial. Il reste quelque chose comme les « sanglots longs des violons de l’automne » qui envahissent le champ des pensées humaines, au-delà de l’effroi devant la finitude de l’individu.
Isou évoquait souvent les gens célèbres qu’il se plaisait à opposer aux créateurs immortels si souvent méconnus. C’est ainsi qu’il me paraît naturel de considérer ce compagnon de route lorsque je songe à ses apports qui ne cesseront jamais de nous remplir de joie."
Anne-Catherine Caron
8 février 2011
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